Le temps est une pulsion qui nous jette hors du moment présent, il est en cela en connivence avec le signe, qui nous renvoie toujours au signe prochain, et ainsi de suite. Rester à la même place, y prendre domicile, va à l’encontre de cette volatilité de l’être-là. La résidence s’oppose au temps et à la fuite des signes - par le calendrier d’abord, qui institue le retour régulier du même. La répétition est son truc, la loi qui la garantit son salut. Or pour que la loi soit, il faut stabiliser le sens des mots, arrêter ce sens une fois pour toutes. C’est un combat permanent, car au cours de la répétition, il arrive que les choses changent, et que change le sens des mots, même de ceux qui sont appelés à donner corps à la loi. L’on peut prendre des mesures contre ce retour corrosif de la volatilité, mais on n’arrivera jamais à l’éviter tout-à-fait.
Il est des périodes dans la vie civilisée des peuples où la tension entre ces deux versants, celui de la stabilité et celui de la volatilité, va en s’augmentant. C’est aujourd’hui le cas dans nos contrées. Pour les gens, c’est une évidence. Ils vivent ça, ça les traverse, ils ne sauraient l’ignorer. L’homme peut se mentir, il est vrai, mais il ne saurait ne pas subir de plein fouet les courants „électriques“ de son époque. Vous n’y distinguerez jamais la cause et l’effet, d’ailleurs: le courant reproduit ce qui le produit, et l’homme y est pris, acteur passif, obéissant au courant plutôt que de le canaliser, illusion chère au Silikon Valley, il est vrai. Mais ça ne leur réussira pas.
La technologie donc, das Gestell. C’est de ce côté, aujourd’hui, que nous viennent les plus grands courants de volatilité.
Exemple la photo, jadis utilisée pour arrêter le temps, et qui se présente aujourd’hui comme un moyen parmi d’autres de participer davantage encore à l’accélération du quotidien en ajoutant au défilé des scènes vues celui des images prises sur ces scènes, via le smart phone, tendance à l’accélération qui se confirme en multipliant ses apparences. Ainsi le vécu du temps nouvelle génération n’est-il plus le passage du passé vers un avenir, mais un tourbillon qui tourne sur place, dans un mouvement qui s’accélère, en spirale, sur fond de néant. La photo n’est plus alors un dehors par rapport au monde photographié, mais elle fait partie de ce monde: c’est la perte de la dimension „meta“. Das Verfallen der Photographierenden an die Welt im Versinken des Bildes in der Bilderflut. Cette perte de distance de la photo répond à la liquéfaction de la résidence: la circulation prend le dessus sur l’assise, à la place du „still“, le tourbillon.
Alors, le photographe „meta“? A discuter dans un prochain billet.